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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 20:29

Commentaires relatifs à diverses publications récentes concernant
Jehan de Lespinay, trésorier de Bretagne, et sa famille

 

01. Les Lespinay « famille de notaires »

L’un des documents les plus anciens concernant les Lespinay de Plessé, du 30 juin 1431 (Arch. Loire-Atl., E.336), contenant la première signature connue d’un Lespinay (Jean II), pourrait laisser croire au vu de la signature que celui-ci était notaire de la juridiction du Gâvre, ce qui a été affirmé par un historien puis repris par d’autres sans citer les fondements de leur affirmation(1).

Il est signé en premier par Nicolas Février, notaire de la cour de Trémar, et en second par Jean II de Lespinay (ou son fils Jean III). Il s’agit d’un aveu à la seigneurie de Fresnay du domaine de Carguemer en Plessé-Guenrouët fait par un dénommé Perrot Guischard. Il semble que Jean II de Lespinay signe soit comme témoin (2) soit comme représentant des intérêts de sa femme Guillemette du Guiniou et de la mère de celle-ci, dame de La Perchette. Un Guischard étant seigneur de La Perchette à la fin du XVe siècle, on peut supposer que les Guischard sont des parents ou alliés de la mère de Guillemette du Guiniou. Comme son père avant lui, Jean IV de Lespinay (le trésorier) continua de racheter les biens appartenant aux successions du Guiniou et de La Perchette. C’est dans cette optique qu’il clôt ces rachats par l’acquisition du domaine de Carguemer limitrophe de son propre domaine à la fin du siècle (cf. supra  le chapitre relatif à la  seigneurie de Lespinay).

La signature de Jean II de Lespinay, comme celle de Nicolas Février, est suivie du terme « passe » et d’une griffe en « 8 » fréquents en particulier chez les hommes de loi. Cette mention et cette griffe sont en général utilisées dans les actes par les notaires, mais aussi par les témoins (parfois eux-mêmes juristes), pour montrer l’importance juridique de leur signature. Il faut rappeler qu’au XVe siècle l’activité de notaire dans les zones rurales bretonnes reste souvent une activité ponctuelle, exercée parfois pour un acte ou deux par des personnes sachant lire et écrire et possédant des rudiments de droit. Ces personnes sont souvent de petite noblesse à la recherche d’activités rémunératrices. C’est le seul document connu où un Lespinay de Plessé signe de cette façon, ce qui ne suffit pas à prouver une profession déterminée mais, plutôt, une formation de juriste. Néanmoins, cette signature accompagnée de la mention « passe » et de la griffe en « 8 » semble bien montrer que Jean II de Lespinay a l’habitude de ce type de signature et qu’il exerce donc à titre habituel une activité juridique (et peut-être fiscale) probablement dans l’administration ducale.

 

02. Les Lespinay, « lignée de receveurs du Gâvre »

               Rappelons que le fief de Rozet était tenu par les Lespinay en gage féodé d’une sergentise de la recette du Gâvre. Sergents féodés de la châtellenie du Gâvre, les seigneurs de « la ville et passée » de Rozet, comme ceux du Guiniou, exerçaient donc à titre gratuit une activité de receveur des impôts pour le compte de la châtellenie. Lorsqu’ils sont mentionnés comme « receveurs » dans des documents de seconde main, ils le sont peut-être encore à titre gratuit, en tant que sergent féodés, à moins qu’ils aient pu pérenniser leur charge par une activité officielle de receveur ordinaire, plus rémunératrice.

 

Les sergents étaient « chargés de recueillir les rentes dues au seigneur par les particuliers », quant aux sergents féodés ils étaient « pourvus d’un fief qui servait de gage à leur sergenterie » et « n’avaient droit à aucun salaire » contrairement aux sergents ordinaires (Marcel Planiol, Histoire des Institutions de la Bretagne, III, 1981, p.355). Certains auteurs, comme G. Minois, ont donc supposé qu’ils se payaient en détournant des fonds... En fait, ce que la déontologie actuelle réprouve tout autant, ils spéculaient sur les biens dont ils percevaient les taxes, avec parfois l’appui des autorités ducales. En effet, au début du XVe siècle les activités des receveurs étaient rémunérées par la spéculation sur certains types de ventes. Pierre de Lespinay, fils d’Eonnet, probablement sergent féodé jusqu’à la cession finale de Rozet par son père à Jean III de Lespinay en 1448, avait obtenu en 1443 un avantage de ce type du duc François I (1442-1450), l’autorisant à spéculer sur le vin grâce à une franchise d’impôts annuelle (Dom Morice, Mémoires II, col.1363-1364). J. et G. de Lespinay (probablement Jean IV et Guillaume son frère aîné), « receveurs du Gâvre », sont acquéreurs de 80 à 100 journaux de bois dans les forêts d’Abbaretz, dépendant de la seigneurie de Nozay, en 1465 et 1469 (Archives L-Atl. B 1847) ; ils sont supposés les avoir revendus avec de confortables bénéfices(3).

               Trois Lespinay sont mentionnés dans les diverses sources comme receveurs du Gâvre : Jean III de Lespinay, Jean IV et Guillaume son frère aîné. On ne peut dire alors que Jean IV est « issu d’une lignée de receveurs du Gâvre » puisqu’il est la deuxième génération(4). Mais avant Jean III, Eonnet de Lespinay avait des droits sur  Rozet et était peut-être aussi sergent féodé. On peut imaginer que Jean II de Lespinay, frère probable d’Eonnet, a pu l’être de même et avant lui son père ou le père de sa mère, à moins qu’Eonnet ait acquis lui-même les terres de Rozet. Mais, si ces spéculations sont vraies, il s’agirait d’une lignée de sergents féodés, exerçant une charge non rémunérée.

 

Il faut d’ailleurs préciser les dates connues concernant les receveurs ordinaires du Gâvre(5) :

  • Guillaume PARAGEAU (8.01.1454-31.12.1458), ALA B 4295 f° 34 v°
  • Jean (III) de LESPINAY (01.01.1463-12.06.1465), ALA B 4295 f° 35
  • Guillaume de LESPINAY (12.06.1465-31.03.1466), ALA B 4295 f° 35
  • divers (François de Lonneday, Tristan Le Bascle, Pierre Simon)
  • Jean (IV) de LESPINAY (10.01.1475-30.11.1485) ALA B 4295 f° 36
  • Jean PARAGEAU l’aîné et Jean IV de LESPINAY (01.12.1485-14.04.1489), ALA id.
  • Jean PARAGEAU l’aîné (14.04.1489-31.10.1489), ALA B 4295 f° 36

 

                On remarque que les principaux receveurs ordinaires du Gâvre sont en même temps sergents féodés du Gâvre, les Parageau à cause du Guiniou et les Lespinay à cause de Rozet, ce qui ne paraît pas être un hasard.

 

 

03. L’enrichissement des Lespinay

               Jean III de Lespinay, père du trésorier, est présenté comme notablement enrichi par ses activités de receveur, qu’il n’a pourtant exercées que deux années et demi (1463, 1464 et 1er semestre 1465), au vu des diverses acquisitions qu’il a faites de son vivant(6). Or nous ne connaissons que les suivantes :

 

  • - 1447 & 1448 : acquêt de diverses rentes foncières à Eonnet de Lespinay (Bibl. Mun. Nantes, Fonds Bizeul, n°804).
  • - 26.12.1447 : acquêt de rentes dues à Blanchart, « homme roturier », qui demeure au Haut-Espinay appelé aussi Les Rôtiz (Bibl.Municipale Nantes, Fonds Bizeul, n°1684).
  • - 12.06.1453 : acquêt avec sa femme Brience Pinart d’une rente à Dom Robert du Guiniou, prêtre et paroissien de Fégréac (Arch.Loire-Atl. E 336).
  • - 28.04.1457 : acquêt à Robin et Perrot Sauldouy d’une rente sur les hoirs de Jean Bonnet (Arch. Loire-Atl. E 336).
  • - 13.03.1459 : échange et acquêt relatifs à la succession de Jean du Guiniou par Jean de Lespinay de Rozet (Bibl. Mun. Nantes, Fonds Bizeul, n°1684)(cf. en 1482 et 1483 : B.N., Ms.Fr., Carrés de d’Hozier vol.382).
  • - 30.03.1459 : acquêt par Jean de Lespinay du lieu du Guiniou (mais pas de la seigneurie, qui reviendra aux Parageau), mentionné dans les titres de la Vicomté de Carheil (Arch.Loire-Atl.).
  • - 15.08.1465 : il achète avec Brience sa femme à Jeanne Nouel, sœur de Jean Nouel, une part du devoir du port et passage de Saint-Clair.
               Comme on le voit, seule la dernière transaction correspond à la période ou Jean III est receveur ordinaire du Gâvre. Les autres transactions, antérieures à son activité financière connue, sont dues à des sources de revenu antérieures dont on n’a aucune raison de croire qu’elles étaient illégales. La valeur des achats (essentiellement des rentes foncières) n’est pas mentionnée. On ne sait pas s’il rachète le fief de Rozet à Eonnet de Lespinay ou plutôt les parts qu’il détient sur ce fief. À sa mort, vers 1465-1466, il est propriétaire par succession de la métairie de Bodouan, et par achat partiel (et pour le reste par succession) de « la grande maison » de Rozet, et d’une partie de la succession du Guiniou. Cela ne paraît pas être considérable.

 

 

04. Les dettes de Jean IV de Lespinay

Si les auteurs citent les créances de Jean IV de Lespinay sur le duché en 1498 (68000 livres), ils ne mettent aucune dette à sa charge en 1524 (impôts et taxes non rentrés). Les papiers du trésorier ayant été saisis, ses descendants n’ont jamais eu les moyens de faire le débit du compte entre créances et dettes : seule la preuve des dettes subsistait…

On trouve dans Wikipedia un article sur Jean IV qui fait fort intelligement litière des accusations de malhonnêté portées contre lui après sa mort. 

Les dettes du trésorier avancées par l'Etat français, qui avait tout intérêt à charger le dernier grand dignitaire breton une fois mort pour remplir des caisses françaises qui en avaient bien besoin, se montaient à 83.465 livres. Elles sont présentées par les historiens comme exorbitantes. Or, si l’on compare cette situation à celle d’autres financiers en Bretagne, dont certains s’en sont mieux sortis - probablement parce qu’ils ont été accusés de leur vivant et ont pu prouver leurs créances en regard de leurs dettes - on s’aperçoit que si elles sont réelles les dettes de Jean IV de Lespinay ne sont pas extraordinaires. Voici quelques exemples pris chez d'autres trésoriers :

  • Philibert Tissart : plus de 50.000 livres de dettes en 1528 (ALA B 582 f° 55-58)
  • Gilles Lesné époux d’Anne Tissart : 100.000 livres en 1525 (ALA B 569 f° 8)
  • Olivier Barrault époux de Péronnelle Briçonnet : 100.000 l. en 1500 (ALA B 569 f° 7)
  • Charles Luillier : 100 000 l. en 1529 (ALA B 569 f° 8)
                C. Luillier avait été chargé de faire rendre les comptes du trésorier Jean de Lespinay. Par lettres patentes datées du 18 février 1525, le roi ordonna de mettre entre ses mains les possessions du trésorier sans qu’il lui fut nécessaire de fournir une caution (ALA B 568). Il fut déclaré défaillant le 5 novembre 1529 pour une somme de 100.000 livres correspondant à une année d’activité (et comprenant probablement les biens du trésorier qu’il avait reçus).

 

 

05. Les procédés malhonnêtes des héritiers du trésorier

                 Les auteurs font remarquer que l’acceptation sous bénéfice d’inventaire de la succession de Jean IV de Lespinay par son petit-fils Guillaume est un procédé dilatoire et malhonnête. Cette observation paraît curieuse quand on sait que c’est un droit de l’héritier de suspendre son acceptation, ou son refus, d’une succession grevée d’un lourd passif à un inventaire préalable des biens, des créances et des dettes. Cette condition suspensive et l’éventuel refus de la succession qui pourra suivre si les dettes sont trop importantes sont des droits de l’héritier qui peuvent choquer les créanciers. Mais on ne peut demander à un « héritier » de payer les dettes d’une succession qu’il a refusée, ni l’obliger à l’accepter, ce que les représentants du pouvoir ducal comme royal ont essayé de faire en permanence.

 

                 En l’affaire, les biens du trésorier étant saisis en août 1524 et donnés dès 1527 à Louis du Perreau, c’est-à-dire dans un délai très court, il était demandé aux héritiers de payer le passif sans contrepartie. Ils perdaient les biens du trésorier dont l’évaluation finale est inconnue et risquaient de perdre leurs biens propres. Les procédés des administrations royale et ducale ne paraissaient pas spécialement plus honnêtes que les délais habituellement pris par les financiers ou leurs héritiers pour rendre les comptes. En outre, on n’a jamais su si le passif de 80.000 livres dû par les héritiers était un passif net des valeurs de l’actif personnel du trésorier ou s’il s’agissait d’un passif brut ne tenant pas compte des actifs. Ces actifs restant inconnus en 1527, on peut supposer qu’il s’agit bien d’un passif « brut ».

 

On a aussi laissé croire que certains biens du patrimoine saisi du trésorier avaient échappé à la vente par des artifices de l’héritier, aussi malhonnête que son grand-père. En réalité, dans le cadre du contrat de mariage de son petit-fils Guillaume et pour financer le trousseau des quatre sœurs mineures survivantes de la fiancée, Jean IV de Lespinay s’était fait remettre en usufruit une partie des biens dont sa petite-bru avait hérité de son père défunt : il s’agit en particulier des fiefs d’Auvers et Lanvaux en Fougeray qui ont été saisis en 1524 avec le patrimoine du trésorier. Le contrat de mariage de Guillaume de Lespinay avec Marie du Chaffault de même qu’une procédure relative à la succession du Chaffault montrent cela clairement. Il est donc heureux que les descendants, non héritiers puisque la succession a été finalement refusée, aient pu récupérer des biens injustement saisis. Il n’y a aucune malhonnêteté à cela.

                Le rapport de la commission Minut décrivant les pratiques financières bretonnes dénonce le retard de Jean IV de Lespinay dans la reddition de ses comptes et les procédés (légaux et justifiables) employés par ses héritiers (en fait Guillaume de Lespinay, aîné, représentant l’ensemble des héritiers) pour échapper à toute sanction(7). On s’aperçoit que les critiques des historiens actuels se fondent essentiellement sur les positions des représentants du pouvoir en 1526 qui estiment que l’acceptation d’une succession sous bénéfice d’inventaire est une forfaiture à l’égard de l’Etat et que les descendants des débiteurs, même non héritiers, doivent rendre des comptes. Guillaume de Lespinay ayant essayé d’échapper à cette obligation fut bien obligé de s’y soumettre et fut incarcéré pour cela pendant cinq ans (1528-1532), sans avoir l’ensemble des documents nécessaires (dont les actifs) pour rendre le dernier compte de son grand-père.

 

Il y avait beaucoup de jugements de valeurs, probablement de part et d’autre, en 1526. Ils ont été repris tels quels par les historiens actuels, sans vraiment tenir compte des positions et des arguments des héritiers jugés d’emblée de mauvaise foi. Or il semble bien que la mauvaise foi était aussi et parfois plus du côté du pouvoir dont les besoins financiers étaient énormes et qui croyait pouvoir les satisfaire par une « chasse aux sorcières » à l’encontre des hommes de finances du royaume. On s’aperçoit, face à l’impossibilité de la plupart de s’acquitter du passif, qu’ils ne s’étaient pas aussi enrichis qu’on le dit et qu’ils n'étaient probablement pas si bons gestionnaires que le laissaient supposer leurs relations et leurs créances sur l’Etat.

 

 


Notes :

 

(1)   Jean Kerhervé, Les gens de finances des ducs de Bretagne (1365-1491). Catalogue prosopographique. Annexe de thèse d'Etat de Lettres, Univ. Paris IV, 1986, 3 vol., XII + 857 f. Voir p.386 : Jean II est présenté comme « notaire de la juridiction » du Gâvre. Sa source, non citée, doit être l’ouvrage de la Marquise de Lespinay sur le « Jehan le thrésorier », de 1937 qui, a aucun moment, ne dit que Jean II de Lespinay est notaire mais présente la photographie des signatures de Nicolas Février et Jean de Lespinay.

(2)   La mention : « Donne tesmoygn sauff notre droit » qui termine le document pourrait confirmer cette interprétation.

(3)   Jean Kerhervé, L'Etat breton aux 14e et 15e siècles. Les Ducs, l'Argent et les Hommes. Paris : Maloine, 1987, 2 vol., 1078p., voir p.743 note 183.

(4)   Georges Minois, Anne de Bretagne, Paris : Fayard, 1999, 571p. ; voir p.179. Et Jean Kerhervé, 1987, p.743 (note 183) et p.800.

(5)   Jean Kerhervé, 1986, p.383.

(6)   Jean Kerhervé, 1986, p.386. « L'aisance matérielle du receveur se mesure à la cadence de ses acquisitions foncières à Plessé où il acheta le manoir du Rozet et s'efforça de reprendre possession pièce par pièce du domaine du Guiniou, propriété de sa mère. »

(7)   Dominique Le Page, « Jean de Lespinay, trésorier et receveur général de Bretagne, 1448-1524 », in Mélanges Tanguy, p.923.

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