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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 09:15

Le trésorier et la construction familiale (1)
Ascension sociale et réseau de clientèle

 

-       De la paroisse au Duché : un réseau en construction

     Des relations locales puis régionales

     Des relations à la Cour ducale

-       Des fondations matrimoniales pour l'avenir : l'entrée dans la « Cour des Grands » (les Rohan, la Cour royale)

     1488 : le mariage Marbré, un riche héritage

     1514 : le double mariage Lespinay - St-Marsault et Lespinay - du Chaffault

     1517 : l'arbitrage de la succession du Chaffault par le trésorier

-       La protection des Rohan : la construction de l'alliance Lespinay-Perreau par les Rohan

     1500-1526 : les trois mariages d'Anne de St-Marsault (une captation d'héritage programmée)

     1542 : le mariage Perreau - Rymerswael (des liens renforcés avec la Cour royale)

     1563 : le mariage Lespinay - Perreau (l'aboutissement)

 

Les parentés concernant les trois premières générations de Lespinay à Plessé (Jean II à Jean IV) sont construites à partir de croisements de sources. Elles restent à vérifier. Il faut rappeler par ailleurs qu’au XVe siècle il existait en Bretagne au moins 4 familles nobles de Lespinay-l’Espinay et une famille d’Espinay (sans compter les provinces limitrophes de Poitou, d’Anjou et de Normandie) dont les membres masculins se prénommaient souvent Jean (prénom ducal), Guillaume ou Pierre. D’où la prudence à observer lorsque l’on « tombe » sur un(e) Lespinay, un(e) l’Espinay ou un(e) d’Espinay dans une source de cette époque.[1]

1. De la paroisse au duché : un réseau en construction

Jean IV de Lespinay, trésorier de Bretagne, était par son entourage à bonne école pour construire son réseau et s’assurer de l’ascension sociale de sa descendance.
 

Généalogie succincte des Lespinay

  Jean I de Lespinay               Dame de La Perchette (Plessé)
             
                                       

 Jean II de Lespinay = Guillemette du Guiniou (Plessé)
                              ├───────
────────┐
Jean III de Lespinay = Brience Pinart     Guillemette = [Yves] de La Rivière

                              ├────────────────────────┐
Jean IV de Lespinay = Bertranne Robellot       Guillaume, Renée, Marie, Henriette
            ┌──
───┴────────┬───────────────────┐
Jean V de Lespinay   Guillaume de Lespinay   Jeanne, Marie, Bertranne, Honorée

 

Des relations locales puis régionales

Le réseau familial « du Guiniou »                                  

Les ancêtres de Jean IV de Lespinay étaient de petits officiers du duché, bien implantés dans la châtellenie du Gâvre et la paroisse de Plessé. Là, ils s’étaient alliés aux Parageau, petits officiers comme eux, et avaient partagé avec eux des obligations en tant que sergents féodés (nobles) du Gâvre, puisque les Parageau (qualifiés de « nobles escuiers » dans les actes) étaient semble-t-il co-seigneurs du Guiniou avec les Lespinay et que les Lespinay étaient seigneurs de Rozet, ces deux fiefs donnant obligation de faire office « gratuitement » de sergent fiscal ou receveur des impôts pour la châtellenie du Gâvre. On les voit intervenir successivement ou ensemble comme sergents féodés et receveurs du Gâvre. Ils interviennent aussi ensemble dans des actes de la paroisse de Plessé, ou partagent des activités financières d’abord locales puis ducales, et par exemple signent un acte de prêt au duc le 2 juin 1465. Les Lespinay étaient alliés aussi aux Guischard, sieurs de Kerguemer, co-seigneurs de La Perchette avec les Lespinay. Ces deux alliances provenaient très probablement d’une parenté par mariage, puisque Guillaume Parageau[2] semble être déjà seigneur du Guynio (ou Guiniou) vers le milieu du XVe siècle, et qu’un Guischard était seigneur de La Perchette au tout début du XVIe siècle, seigneurie ayant appartenu à la mère de Guillemette du Guiniou, femme de Jean II de Lespinay.
             Par la suite, d’autres noms cités, comme les La Rivière [3], Spadine[4] , Carheil[5], Ménardeau[6], Coué[7], Brécel, Gabart[8], Louaysel [9], etc., descendants ou alliés des premiers Lespinay et des du Chaffault, ont hérité par des fiefs ou des charges de portions du réseau, certains étant associés à ses activités par Jean IV de Lespinay devenu trésorier de Bretagne. Tout cela est bien décrit par les travaux de Jean Kerhervé (1986 et 1987) et de Dominique Le Page (1995 à 1997), bien que des jugements de valeurs aient présenté la construction de ce réseau comme malhonnête, criminelle (alors même que nous voyons nos hommes politiques depuis 50 ans s’enfoncer dans le clientélisme et le népotisme à des niveaux identiques, sans que personne ne récrimine…).

Le réseau familial « Pinart »                                             

Par sa naissance, Jean IV de Lespinay était membre du réseau des Pinart, famille noble du Trégor et du Léon, originaire de la région de Morlaix (Le Val-Pinart en St-Mahé), officiers financiers du duché à un plus haut niveau que les Lespinay de l’époque.
               L’ascension des familles se fait ou se consolide souvent par des alliances matrimoniales[10]. On a l’impression que le père du trésorier a fait un mariage « hypergamique », s’alliant à une famille alors plus puissante et connue que la sienne, entrant ainsi dans la clientèle des Pinart et bénéficiant de leur appui. Alain Pinart était receveur de Morlaix avant 1460. Son frère aîné Paul, sieur du Val à Morlaix, était receveur du fouage de l’évêché de Léon dès 1452 (Arch. L.-Atl. B 10 f° 26 v°) puis de Tréguier en 1454, etc. ; ses fils Pierre et Yvon suivirent son exemple. Probablement frères de Brience Pinart, Paul et Alain étaient enfants de Yvon II Pinart, époux d’Ysabeau Rouzaut, et petits-enfants d’Yvon (Ier) Pinart, Sr du Val (+ av.1417), et de Catherine de La Fouais. Yvon II avait un frère cadet, Rolland Pinart (ou Le Pinart) époux de Valence Gicquel (famille de financiers des Penthièvre), auteur de la branche Pinart de Cadoalan, receveur de Guingamp de 1426 à 1446. Son fils Jean, époux en 1462 de Jeanne du Groesquer, afferma les sceaux et papiers de la juridiction de Guingamp de 1464 à 1468. Etc.
              L’aide des Pinart expliquerait certaines fermes obtenues par le futur trésorier et son père hors du Comté nantais après 1440. Quant à Guillaume, frère aîné du trésorier (très probablement, puisqu’il représente son père dans deux actes importants et ses frère et sœurs à l’occasion de la succession de Jean III), il n’est plus mentionné après 1468. C’est seulement en 1482 que Jean IV est mentionné comme l’héritier de Jean de Lespinay son père.

Reconstitution de la parenté Pinart

Yvon I Pinart, Sr du Val  =  Catherine de La Fouais
      (+ ca.1416)
            ├─────────
─────────────────────┐
Yvon II Pinart = Ysabeau Rouzaut                  Roland Pinart  =  Valence Gicquel
(1417, 1427)                                              (1419, +1462)      (+27.02.1458)
      ┌──┴
──────┬─                                 │
Paul Pinart    Alain Pinart          Brience           Jean Pinart = 1462 Jeanne du Groesquer
Sr du Val       et Roland       (née ca. 1420)     (+ ca.1488)
                                   = ca. 1440 Jean III              
                                         de Lespinay                   

       Branches du Val,                                     Branche de Cadoalan
     de la Noe-Verte et

       de Cramailles

 

Le réseau familial « Robellot »                                         

Parallèlement à l’aide probable des Pinart, Jean IV de Lespinay a bénéficié des relations de sa femme Bertranne Robellot, dont Jean Coué son beau-frère et les parents de Françoise (de) Becdelièvre sa belle-sœur. Les Robellot (Roblot, Robelot) sont de la paroisse de Guer, diocèse de Saint-Malo.
             Pierre Becdelièvre (+1504), de famille anoblie en 1442, frère de Françoise, fils de Guillaume et de Jeanne Sorel, fut trésorier général de Bretagne. Il épousa 1) Perrine/Robine Tramblay et 2) Jeanne Bourgneuf, toutes deux issues du monde des affaires et de la finance de Rennes. Or Guillaume de Lespinay, fils de Jean IV et de Bertranne Robellot, épouse Guillemette Moulnier, fille de Guillaume Moulnier et d’Olive Bourgneuf, dame de Léraudière, parente probable de Jeanne Bourgneuf. Quant à Guillaume Moulnier, il a été receveur d’une partie de l’évêché de Vannes de 1467 à 1485, soit seul soit avec d’autres. Dès 1465, il est au service d’Olivier Baud, trésorier des guerres, et vers 1474 il passe sous les ordres du trésorier Pierre Landais. Il devient auditeur à la Chambre des comptes le 17 juillet 1488. En réalité, quatre des six enfants connus de Bertranne Robellot se marient dans l’environnement de leur mère : Guillaume épouse Guillemette Moulnier ; Marie épouse 1) Jean de La Bourdonnays, du diocèse de Vannes, puis 2) Robert de Gaincru, voisin de Guer ; Bertranne épouse Jean Guéhenneuc, d’une famille de Guéméné-Penfao alliée aux Hudelor ; Honorée épouse Jean alias Yves Hudelor, de la paroisse de Guer.

Parenté Robellot (d’après René de Bruc en 1638)

                                                Guillaume du Plessis
                                                        
N. Robellot (de Campénéac)        Jean du Plessix = Isabeau Le Rebours

                                                      ├───────
────┐
Jean Robellot (viv.1450) = Guillemette du Plessix    Marguerite du Plessis  = Bertrand Hudelor
                                                                                                             
           ┌────────────┼─────────
───────┐                               
Guillaume = 1466     Jeanne = 1478            Bertranne = 1475 ( ?)          Jean Hudelor =
Françoise Becdelièvre   Jean Coué               Jean IV de Lespinay           Perrine Mouraud

   ┌───┴─────
──┬─────────┐                                                    
Yves =             Jeanne =            Rose = Jean   Jean V de Lespinay
        Yves Hudelor =

Valence Gouro  Alain de Porcaro  des Roussières  = Marie du Chaffault   Honorée de Lespinay
 

Selon l’abbé Jacques-Marie Le Claire (Guer, Rennes, Ed. rue des Scribes, 1990, rééd. de 1914, p.130), « Jean Lespinay » épouse Bertranne Robelot par contrat du 19 mars 1475 (preuves Robelot 1669, papiers Porcaro, arch. de la Ville-Hue).

Des relations à la cour ducale

            Les relations familiales des Lespinay renforcent des liens déjà établis avec l’administration du duché. En effet, Eonnet de Lespinay [écrit « de Penhay »], avec son frère (probable) Jean II de Lespinay, Hervé et Rollant Pinart, Jean de La Tousche, Eon de La Rivière, Jean de Marbré, Guillaume du Plessis, Jean Le Maistre et de nombreux écuyers, accompagne en 1419 Richard de Bretagne en France, parmi les gens de Bertrand de Dinan, seigneur des Huguetières, Maréchal de Bretagne (compte de Jehan Mauléon, in Dom Morice, Mémoires, t.II, col.1104-1109 : mandements du 13 août 1419, du 4 septembre 1419, du 22 octobre 1419). Ces écuyers sont pour la plupart des cadets. On voit par la suite les Lespinay de Plessé établir des alliances avec certaines de ces familles : La Tousche, Pinart, Marbré (Le Maistre), Plessis (Robellot).
           Eonnet de Lespinay marie en 1443 son fils Pierre avec la fille de Jacquet de La Tousche, maréchal de salle du Duc de Bretagne, ce dernier accordant à cette occasion, le 18 novembre 1443, une franchise d’impôts à Pierre de Lespinay (Dom Morice, Mémoires, t.II, col.1363-1364).

               Il est difficile de croire que Jean III de Lespinay n’ait pas bénéficié des relations avec les La Tousche en 1443 comme ce fut probablement le cas avec les Pinart en 1446 ou avec les Becdelièvre 30 ans plus tard. En tout cas, dès les années 1440, Jean III de Lespinay se voit confier des charges financières, seul ou avec les Parageau. En 1446, c’est peut-être lui qui est receveur des fouages de l’évêché de Léon et dont le compte est rendu par son commis Jean Pillet en 1447 (Arch.L.-Atl. B 4296 f°227 r°). Grâce à cette activité, il semble avoir pu racheter une partie des droits d’Eonnet de Lespinay sur Rozet qui lui ont permis d’accéder à la recette de la châtellenie du Gâvre. En 1460, Jean III est fermier pour un an de la traite des bêtes vives avec Jean Parageau (Arch.L.-Atl. E 131 f°79 v°). Ce sont ses seules activités connues hors de la région de Plessé. Peut-être, cependant, est-ce lui (« J. de Lespinay ») qui va prêter serment avec la noblesse de l’évêché de Dol en 1437, en tant qu’héritier de la branche cadette des Lespinay de St-Malon.
             Lorsque Guillemette de Lespinay, sœur de Jean III, épouse [Yves ou Eon] de La Rivière, les La Rivière de Plessé sont de petits officiers de la châtellenie du Gâvre (Macé de La Rivière est le premier receveur ducal du Gâvre, placé sous la protection du Duc en 1407). On ne sait si c’est la même famille qui est représentée parmi l’administration ducale (Jean de La Rivière, écuyer du Duc, second président des Comptes en 1442, chancelier en 1450, établi dans l’évêché de Rennes, +28.02.1461). Elle continue ses fonctions de receveur ordinaire de la châtellenie du début du XVe siècle jusqu’au début du XVIe siècle et a quelques liens avec les Lespinay (Pierre de La Rivière commis receveur ordinaire du Gâvre en 1503 par Jean IV, son fils Jean succédant à Guillaume de Lespinay en 1524 comme clerc secrétaire à la Chambre des comptes de Nantes).
            Tous ces liens familiaux et de voisinage ont préparé, favorisé, l’entrée des Lespinay dans la « Cour des Grands » avec la trésorerie générale du duché d’abord puis par des alliances matrimoniales socialement et politiquement importantes hors du monde de la finance pour Jean V puis Guillaume de Lespinay son fils. En effet, après les alliances Pinart et Robellot qui ont ouvert ou élargi les portes des offices financiers et permis de se constituer un patrimoine foncier et noble, les Lespinay vont profiter de la position de Jean IV à la Cour, ducale et royale, de 1489 à 1524 pour négocier des alliances avec de riches héritières de familles féodales (Marbré, du Chaffault) apparentées à la grande noblesse bretonne et avec des familles de la Cour royale (St-Marsault, du Perreau).

  (suite)



[1]    Par exemple, plusieurs personnes du nom de Lespinay citées par la marquise de Lespinay dans son ouvrage sur Jean IV de Lespinay (p.40), sont à rattacher à la puissante famille d’Espinay de Vitré : comme Jeanne de Lespinay (+1475) femme de Guillaume Le Tourneur, sieur de La Courbe à Bazouges-sous-Hédé, ou Renée de Lespinay femme de Thomas de Québriac, seigneur du Bois Maigné en 1519, ou encore Eustache de Lespinay (fils de Robert d’Espinay), conseiller du Duc de Bretagne de 1458 à 1471.

[2]    Il est le père de Jean Parageau l’aîné, époux de Jeanne Guyolle, fille de Pierre Guyolle et de Robine Delestre (Pierre Guyolle épouse en 2de noce Marie de Lespinay, sœur de Jean IV de Lespinay). Mais dans un indult latin de la Cour de Rome, en 1510, Jean Parageau l’aîné est ainsi mentionné : « Johannis Parageau et ejus uxoris du Guynio », ce qui signifie que sa femme serait une du Guiniou ou dame du Guiniou.

[3]    En mariant sa fille Guillemette à [Yves] de La Rivière, semble-t-il de la paroisse de Plessé, Jean II de Lespinay consolidait une relation avec les La Rivière, famille d’officiers de la maison du Duc de Bretagne. Cette relation a pu aider à l’ascension de ses fils et petits-fils dans les charges ducales. Mais les descendants de Guillemette de Lespinay vont aussi, tout naturellement, bénéficier du réseau de relations du trésorier et de certaines des responsabilités des Lespinay dans la paroisse de Plessé et la châtellenie du Gâvre.

[4]    Jean Spadine, seigneur du Housseau en Carquefou (Nantes), fils et petit-fils de procureurs de Nantes, épouse Renée de Lespinay, sœur du futur trésorier. Ce mariage eut lieu probablement vers 1470, puisqu’un de leurs fils, Gilles Spadine, marié à Gillette Picart, baptise sa fille Gillette à l’église Ste-Croix de Nantes en 1490.

[5]     Une fille de Renée de Lespinay, Jeanne Spadine, épouse en 1509 Guillaume de Carheil (seigneur de Carheil, paroisses de Plessé et Guenrouët), dont la descendance existe toujours aujourd’hui (cf. travaux de Serge de l’Espinay sur la descendance des Lespinay, et ses extraits sur les bases internet Roglo et Geneanet).

[6]     Marguerite Spadine, fille de Renée de Lespinay et de Jean Spadine, épouse François Ménardeau.

[7]     Jean Coué est l’époux de Jeanne Robellot, sœur de Bertranne, femme de Jean IV de Lespinay.

[8]     Christophe Brécel épouse Catherine du Chaffault, sœur de Marie du Chaffault, épouse de Guillaume de Lespinay. Leur fille Louise Brécel épouse François Gabard.

[9]     François Louaysel épouse Françoise du Chaffault, sœur de Marie du Chaffault.

[10]  Cf. surtout les travaux sur la Bretagne de Michel Nassiet et son ouvrage : Parenté, noblesse et États dynastiques, XVe-XVIe siècles, Paris, EHESS, 2000 ; et le manuel de Laurent Bourquin, La noblesse dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, coll. Belin Sup Histoire, 2002.

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