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15 juin 2008 7 15 /06 /juin /2008 14:08
(partie précédente)

La tombe de Jacques de Perreau à Magnitot (suite 2)
Ascension familiale et débuts du protestantisme (XVe-XVIe s.)

Charles de LESPINAY, juin 2003


Une curiosité : des alliances imbriquées

            Si l’on n’a pas trouvé de source mentionnant l’alliance de Jacques de Perreau, on connaît beaucoup mieux les alliances de son environnement familial. Celles-ci, par leur imbrication, sont une curiosité digne d’être présentée, montrant l’étendue des relations familiales et de clientèle qu’elles ont favorisées, prélude à la circulation des idées et à la propagation du protestantisme.

Louis d’Espinay[22] veuf de Charlotte d’Isque, nièce de Jacques de Perreau, épouse en 1554 la belle-sœur de Jacques de Perreau, Jacqueline de Rymerswael[23] . C’est probablement autant à cause de cette parenté que de leur présence conjointe à la cour royale qu’ils se sont connus. Le mari défunt de Jacqueline de Rymerswael, Louis du Perreau, frère de Jacques de Perreau, avait épousé vers l’âge de 40 ans (en 1526) Anne de Saint-Marsault, elle-même âgée d’environ 40 ans, veuve en deuxièmes noces de Jean de Lespinay (mort en 1517) fils d’un trésorier de Bretagne. Les biens de ce trésorier, saisis à sa mort en charge en 1524, avaient été donnés sur proposition du « prince de Rohan »[24] par le roi en 1527 (et lettre de 1529) à Louis du Perreau, époux depuis 1526 de la bru du trésorier, devenu par ce mariage tuteur de Samson de Lespinay, né vers 1516, fils du deuxième mariage de sa femme et petit-fils du trésorier. Cette donation royale à un allié du réseau familial Lespinay-St-Marsault n’est pas une coïncidence. Les princes et vicomtes de Rohan étaient les suzerains des Lespinay et leurs protecteurs, et surtout des parents de Marie du Chaffault, fille du premier mariage d’Anne de Saint-Marsault avec Jean du Chaffault (décédé en 1512), qui avait épousé Guillaume de Lespinay, demi-frère de Samson. Si Louis du Perreau était décédé avant son épouse et sans postérité, ses biens seraient revenus à celle-ci puis à ses enfants, et donc en grande partie aux Lespinay, par droit d’aînesse.

Le tableau suivant essaie de montrer une partie des relations créées par des alliances successives : sept personnes liées ensemble par veuvages consécutifs, dont la descendance a contracté alliance et bénéficié de contacts familiaux élargis. Il ne montre pas la proximité généalogique des Rohan et de la duchesse Anne de Bretagne avec les du Chaffault, et par conséquent avec Anne de St-Marsault et les Lespinay, ni celle de Louis XII et de François Ier avec les Perreau, parentés de type « féodal » qui nécessiteraient d’autres tableaux complexes nous éloignant du Vexin. Ces personnes, pour la plupart, avaient en commun d’être proches de la cour royale de France.


Tableau 2 – Des alliances imbriquées[25]



           On a l’impression que plusieurs de ces alliances imbriquées ne sont pas des hasards. La famille de Rohan semble avoir pris en main la destinée de Louis du Perreau (dont la propre tante, Léonarde Perreau, a épousé Herman de Clèves, cousin du roi), encourageant son mariage en 1526 avec une cousine par alliance des Rohan (puisque veuve de Jean du Chaffault cousin des Rohan), bru en seconde noce du trésorier de Bretagne défunt, saisi par le pouvoir royal. Puis, une fois Louis devenu veuf et sans enfants de ce mariage, René de Rohan encourage son remariage en 1542 (il a environ 56 ans !) avec une jeune dame d’honneur d’Eléonore d’Autriche de très haute lignée, Jacqueline de Rymerswael, et les héberge tous deux en son château de Blain. Après la mort de Louis du Perreau en 1548, il prend en charge l’éducation de ses trois enfants. Peu après la naissance vers 1547 de leur seule fille et troisième enfant Eléonore, Isabeau de Navarre, alors veuve de René de Rohan, favorise les tractations en vue de mariage entre les Lespinay et Jacqueline de Rymerswael, veuve de Louis du Perreau, qui vient de se remarier avec Louis d’Espinay. Ces tractations dureront 10 ans, au cours desquels Samson de Lespinay abandonne sa place à son neveu Pierre de Lespinay, chef du nom et d’armes, lui-même veuf, qui a le même âge que lui et qui épousera donc à l’âge d’environ 46 ans la riche héritière âgée de 16 ans, récupérant ainsi tous les biens saisis sur sa famille.

            L’action des Rohan ne s’arrêtera pas là non plus. Fondateur de la communauté huguenote de Bretagne, grand ami de François d’Andelot de Coligny, protecteur des huguenots, Henri de Rohan [26] fera convertir au protestantisme tous les membres de sa cour, dont les Lespinay et les enfants Perreau, malgré l’opposition de Jacqueline de Rymerswael, alors veuve de Louis d’Espinay, décédé en 1557. La descendance de Louis d’Espinay restera catholique. Quant à Duplessis-Mornay, neveu par alliance de Louis d’Espinay, élevé dans un milieu familial catholique, mais entouré de personnes (dont sa mère) qui se tournent vers le protestantisme, lui-même ami de l’amiral de Coligny, frère d’Andelot, il se convertit au protestantisme par une démarche que les historiens ont présentée comme personnelle mais qui correspond à celle de son entourage familial étendu, lié à la cour des Rohan, convertie dès 1559, et à la cour royale.


Une famille d’une grande piété ?

Outre son ascension sociale et économique rapide, la particularité de cette famille fut une grande piété, très représentative de l’époque, à la recherche de voies d’expression nouvelles. Jacques meurt « en odeur de sainteté » à Londres et son corps est rapatrié en France pour être enterré à Magnitot où sa pierre tombale le montre les mains jointes, un « pacifique » lévrier à ses pieds. Son frère cadet Louis est aussi réputé pour sa piété, de même que sa belle-sœur Jacqueline de Rymerswael. Si les deux frères, morts trop tôt, n'ont pu avoir de rôle direct dans l’avènement du calvinisme dans le Vexin et en Bretagne, leur famille y fut étroitement mêlée. Selon certains érudits [27], Monsieur de Castillon aurait puisé les idées protestantes en Angleterre mais cela n’est pas si sûr car il semble être resté fervent catholique jusqu’à sa mort. En 1558 eut lieu la première prédication calviniste par les ministres Fleurier et Loiseleur au château de Blain, à l’instigation de François d’Andelot de Coligny, devant les Rohan et leurs vassaux rassemblés. Dès 1559, les enfants Perreau et les Lespinay, tous vassaux des Rohan, étaient convertis. Leur descendance persistera jusqu’à la révocation de l’Edit de Nantes et même après, certains rejoignant la confession catholique pour recouvrer leurs biens mis sous séquestre, une autre étant convertie en douceur à la Bastille.

Cependant, Jacqueline de Rymerswael resta fervente catholique jusqu’à sa mort, contrairement par exemple à sa sœur Isabelle, huguenote dès 1555, réfugiée à Cologne. Le fils de son second mariage, Martin d’Espinay, comte de Rosendael, ne suivra pas ses demi-frères et sa demi-sœur dans leur choix religieux. Lors des pourparlers (1557-1563) en vue du mariage entre sa fille Eléonore du Perreau (filleule de la reine Eléonore) et Pierre de Lespinay (petit-fils de Jean V de Lespinay), elle insista dans un contrat notarié du 30 avril 1563 pour que le mariage soit catholique mais, sur la pression des Rohan, les futurs mariés étant en outre déjà convertis au calvinisme, celui-ci fut célébré au grand temple du bourg de Blain selon le rite réformé. Ses deux premiers fils, très pieux, vécurent dans une assez grande austérité au sein de la religion réformée.

On n’a aucune autre information sur Jacques de Perreau, le frère aîné de Louis. Le fait qu’il décède en 1528 en Angleterre pourrait laisser supposer qu’il y était en mission pour le roi de France et que les relations qu’il y avait ont pu favoriser le choix de son frère comme ambassadeur du roi de France en 1533. Sa pierre tombale représente en tout cas un personnage important, en tenue de chevalier. L’étude plus approfondie des archives du XVIe siècle pourrait nous en dire plus[28]. La coïncidence entre l’apparition du protestantisme à Blain et dans le Vexin où les Perreau avaient des relations familiales laisse à penser que ces deux régions étaient liées de façon particulière à travers quelques personnes influentes et attirées par de nouvelles formes de dévotion. Parmi ces personnes il y a les Coligny, les Rohan, les Perreau et les Mornay, les uns étant à la tête d’un réseau de clientèle, les autres au sein d’un système d’alliances familiales complexes, comme le montre le tableau d’alliances imbriquées ci-dessus, exemple parmi d’autres des relations familiales « étendues » qui pouvaient lier entre elles diverses régions de France ou même d’Europe.

L’intérêt des généalogies utilisées ici est qu’elles permettent de poser des questions, dans la mesure où leur construction est fiable. Il reste cependant encore beaucoup de zones d’ombre. Par exemple, Marguerite Perreau, qui est sans aucun doute une proche parente de Jacques de Perreau, est-elle sa fille ou plutôt sa sœur ? Jacques de Perreau est-il le beau-père de Louis d’Isque, son beau-frère ou celui de son père, Jehan d’Isque, près duquel il repose à Magnitot ? Louis du Perreau, présenté comme le frère de Jacques de Perreau, ne serait-il pas plutôt un de ses fils (est-ce un hasard s’il porte le même prénom que Louis d’Isque ?), si l’on tient compte de l’écart d’âge entre eux et du fait que Louis[29] lui succède entre autre comme gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, portant le même écu fleurdelysé ? Nous avons fait des choix qui nous paraissent logiques au vu des dates et des documents dont nous disposons, mais qui pourront être contredits par des données et des hypothèses ultérieures. En ce qui concerne les d’Isque, il subsiste aussi des zones d’ombre sur leur généalogie. La certitude que nous pouvons avoir est que les Perreau et les d’Isque sont liés par Louis d’Isque et Marguerite Perreau et peut-être par Jehan d’Isque et Jacques de Perreau (époux d’une sœur ou d’une fille de Jehan d’Isque, ou père de Marguerite Perreau).

Pour mieux comprendre à la fois l’histoire politique de la France et celle du protestantisme, il conviendrait d’étudier un peu plus les familles alliées partiellement présentées dans le tableau relatif aux alliances imbriquées. On y voit que les Perreau, les Lespinay, une partie des d’Isque et des Mornay vont entrer dans le protestantisme de façon presque concommitante sous l’influence des mêmes réseaux familiaux et politiques, comme nous en avons déjà donné un aperçu auparavant. En particulier, l’histoire des d’Isque vient semble-t-il apporter d’autres éléments de réflexion à l’histoire du protestantisme, puisque plusieurs descendants de Jehan d’Isque, devenus protestants, seront obligés de migrer au delà du Rhin ou en Suisse, puis pour certains aux Amériques. On s’aperçoit ainsi que Jacques de Mornay, père du célèbre Duplessis-Mornay et petit-fils de Jehan d’Isque, avait plusieurs cousins germains protestants, enfants de son oncle Philippe d’Isque, dont Jean d’Isque, fils de la deuxième femme de Philippe, Catherine de Lamparé. Ce cousin avait épousé la fille de Jean Lenfant, relation de Calvin et chef des protestants lorrains à Strasbourg, qui fut condamné à mort et exécuté comme protestant en 1571. Un dernier schéma généalogique, celui des d’Isque vexinois au XVIe siècle, va illustrer ce qui vient d’être dit et peut-être ouvrir d’autres pistes de recherches.


Tableau 3 – Les descendants de Jehan d’Isque au XVIe siècle 

 

      

Charlotte d'Isque eut de son mari Louis d'Espinay une fille, Madeleine, qui épousa le 22 février 1571 Jérôme Maynet, sieur de La Vallée, protestant dieppois (+1574), conseiller clerc au Parlement de Rouen, dont elle n'eut pas d'enfants. Ses cousins germains Tite et Jean (fils de Philippe d'Isque), et Jacques de Mornay (fils de Berthe d'Isque) se sont eux-mêmes convertis au protestantisme.

François d’Isque, prêtre, conseiller au Parlement de Paris, est chancelier [30] de la reine Eléonore et donc membre de sa cour comme Louis du Perreau, frère probable de Marguerite Perreau (belle-sœur de François), et Jacqueline de Rymerswael. Louis d’Isque apparaît dans la liste de bénéficiaires de pensions diverses pour services rendus au roi en 1516[31], ce qui montre bien qu’il fréquente aussi l’entourage royal.

             Nous avons vu que les deux réseaux familiaux des Perreau et des d’Isque se sont trouvés inclus dans les réseaux politiques des Rohan et des Coligny, en relation étroite avec la cour royale. Il sera intéressant de chercher s’il existe de même des liens entre les familles alliées des d’Isque (Chaumont, Bièvre, Lamparé, Mornay, du Bec, Lenfant, etc.), ces mêmes réseaux et d’autres encore qui n’apparaissent pas ici. Pour le moment, à partir de l’étude rapide de la pierre tombale vexinoise d’un homme de foi, d’une origine qui paraissait obscure, on a commencé à percevoir que cet homme était l’un des chaînons d’un ensemble de réseaux, à la fois témoins et acteurs de la révolution religieuse qui parcourt l’Europe au XVIe siècle.

 


[22]     Seigneur de Boisguéroult ou Bois-Gros, chef de la branche aînée de la famille normande des d’Espinay-Saint-Luc.

[23]     Par conséquent sa « tante par alliance ».

[24]   D’après le généalogiste breton René de Bruc, en 1638, B.N., Mss.Fr., Cabinet de d'Hozier, vol.266, dos.7146. Par sa femme Anne, princesse de Rohan, dame de Blain (+1529), qu’il épouse en 1516, Pierre de Rohan-Gié (+1526) est le suzerain des Lespinay. Anne est la cousine germaine de la duchesse Anne de Bretagne. Quant à son mari, il est lui-même cousin germain de Jean du Chaffault, premier mari d’Anne de Saint-Marsault. A la suite d’Anne de Rohan, sa bru Isabeau de Navarre, épouse de René de Rohan (+1552), continuera de prendre en main les intérêts de Louis du Perreau et de la descendance du trésorier déchu.

[25]   Le signe [=] est une convention en ethnologie de la parenté pour désigner les relations matrimoniales en général, à travers ou non un mariage « régulier ». Les généalogistes utilisent plutôt le signe [x] qui symbolise le mariage légal mais non l’union « libre ». On trouvera aussi l’abréviation « ép. » pour « épouse un tel ou une telle ». Les dates d’alliance marquées ne sont pas toujours celles de la cérémonie religieuse mais parfois celles du contrat de mariage, antérieur à la cérémonie.

[26]    Petit-fils de Pierre de Rohan-Gié et d’Anne de Rohan, fils de René de Rohan et d’Isabeau de Navarre.

[27]     Voir : Marquise de Lespinay, Pierre de Lespinay et les débuts du calvinisme à Blain, Chantonnay, Gaultier [1939], p.26.

[28]     Voir entre autres : Bibl.Nat., mémoires de Castelnau, successeur de Castillon en Angleterre, fonds Dupuy 33.

[29]     Louis nomme en outre son fils cadet Jacques (la tradition de l’époque veut que les aîné(e)s des enfants portent assez souvent le prénom d’un de leurs grands-parents, ceux-ci pouvant d’ailleurs être les parrains et marraines).

[30]     Il est encore garde des sceaux de la reine douairière Eléonore le 28 février 1547, date à laquelle il reçoit dispense d’exercer sa charge de conseiller au Parlement de Paris tant qu’il vacquera aux affaires de la reine. Arch. Nat., X LA 1562, f°26 v°.

[31]     Bibl. nat. de France, ms.fr. 25720, f°61 ; U 2037, f°246 v° et 247. Informations transmises par Jean-Philippe Gérard.

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